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24 juin 2012

Plateau d’Abomey : Charbon de bois et ‘’Sodabi’’ tuent le néré à petits feux

La couverture forestière du plateau d’Abomey recèle une gamme variée et diversifiée de végétaux supplantés par de grands arbres comme le néré. Mais, de plus en plus, cette espèce devient rare dans le milieu à cause de la forte propension à la production de charbon de bois.

Le constat est amer. De Zogbodomey à Abomey centre, en passant par Bohicon et Agbangnizou, les nérés se comptent du bout des doigts. Autrefois, toute cette zone, qui recouvre le plateau d’Abomey, était reconnaissable par de riches parcs de cet arbre majestueux par la taille et célèbre par ses nombreuses vertus. « Les populations en sont arrivés à la destruction de l’espèce à la faveur de la production du charbon domestique », déplore Christophe Didolanvi, agriculteur à Zogbodomey. « Avant, Détohou était un parc à néré, renchérit  Désiré Dègbo, chef de cet arrondissement d’Abomey. Mais les gens abattent toutes les espèces d’arbres, sans exception, pour faire du charbon, et du coup, ils n’ont point épargné le néré ».  

Selon le capitaine Arnaud Quenum, chef du cantonnement forestier du Zou, le néré est menacé de disparition depuis une dizaine d’années. Pour Désiré Dègbo, cela remonte à un peu plus de cinq ans. A cette époque, le gaz domestique produit par la société Oryx, avait commencé à se raréfier sur le marché. Au départ subventionné par le gouvernement  à travers le Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme (Mehu) et objet d’une intense campagne de promotion afin de lutter contre la déforestation, le foyer de gaz (la bouteille de gaz de 6 kilos, le brûleur et le support) était livré un peu partout sur le territoire national à  22 000 f CFA. Pour renouveler la bouteille de gaz, il suffisait juste à l’acheteur de payer 1 500 f CFA, aux dires d’un consommateur. Mais la subvention publique n’a duré que deux à trois ans et le prix du produit, fixé désormais en fonction du cours international des produits pétroliers, a presque triplé en trois ans. Beaucoup de consommateurs s’en sont alors détournés pour revenir au charbon de bois.

Rythme de croissance lent

Du coup, la demande de cette énergie locale s’est accrue. Il s’en est suivi une forte pression sur les essences forestières dans plusieurs régions du pays, notamment dans le Zou. Dans ce département où la densité est de 125 habitants par km2, la pression sur la terre est en outre très forte. Ce d’autant plus que les populations, pour la plupart analphabètes et vivant avec moins d’un dollar par jour, pratiquent l’agriculture extensive avec des moyens rudimentaires. Ce qui entraîne un appauvrissement continu des sols alors même que, entre 2002 et 2006, l’effectif de la population a augmenté de 2,28 % selon l’Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique (Insae).

La conséquence est la faiblesse du rendement agricole. Grégoire Glèlè Kandiko, spécialiste de la médecine traditionnelle à Lissazounmè dans la commune d’Agbangnizou, constate ainsi que la « terre n’apporte plus au néré assez de nutriments pour qu’il produise régulièrement de fruits». Or ce fruit est utilisé dans la fabrication de produits pharmaceutiques et alimentaires tels que ‘’afitin’’, un condiment local à l’arôme envoûtant, très recherché. Le cas du néré est plus préoccupant car son rythme de croissance est lent aux yeux de la population. Selon des sources concordantes, cet arbre met dix à quinze ans avant de donner ses premiers fruits. La sagesse populaire ironise sur cette lenteur de croissance à travers ce dicton célèbre : ‘’On ne peut planter un néré et rester vivant pour en manger le fruit !’’. « Le bois de cet arbre est aussi inapte à la fabrication des meubles et du charbon de bonne qualité », fait observer le docteur Aristide Adomou, spécialiste en botanique et biodiversité végétale, enseignant à la Faculté des sciences et technique (Fast) d’Abomey-Calavi. De là à considérer cet arbre comme inutile, il n’y a qu’un pas, franchi par beaucoup de gens…

Pour trouver d’autres sources de revenus, bon nombre de personnes se sont alors ruées sur la production du charbon de bois. Le néré a été une cible privilégiée, son bois étant du reste «recommandé pour servir comme combustible pour la préparation de l’alcool local ‘’sodabi ’’», selon le sexagénaire Toviessi, un agriculteur résidant dans l’arrondissement de Tanvè à Agbangnizoun. Pour le capitaine Quenum, les départements des Collines et du Zou battent le record de la production de charbon de bois au Bénin. Quelques-unes des conséquences sont, d’une part, les difficultés pour les tradithérapeutes de trouver les matières premières pour fabriquer les produits pharmaceutiques et, d’autre part, la chute drastique de la production sur place de la graine de néré, devenue du coup très chère.

Sensibilisation sans résultat

A en croire Arnaud Quenum, le gouvernement, dans sa politique de protection de la flore, a mené diverses actions. Il organise, chaque année, à travers les Eaux et Forêts, des campagnes périodiques de sensibilisation sur la préservation des essences forestières utiles comme le néré, le karité et le baobab. « En 2009, grâce au Programme spécifique de reboisement des terres (Psrt), nous avons reçu du Burkina Faso plus de 2000 graines de néré reproduites en pépinière à distribuer aux paysans dans les différentes communes de la localité, rappelle-t-il. Mais très peu d’entre eux ont répondu à notre invitation si bien que nous avons été obligés de planter le reste dans le périmètre de notre base». Son collaborateur Léonce Dossa renchérit : « Les paysans préfèrent les essences à croissance rapide comme le teck, l’acacia, l’eucalyptus ».

Cependant, Désiré Dègbo avoue n’avoir « pas vu beaucoup de sensibilisations sur le terrain ni être au courant de l’existence d’une pépinière de néré ». Mais en vérité, la loi 93-009 du 02 juillet 1993 portant régime des forêts, en son article 29 interdit, sauf autorisation de l’administration forestière, « l’abattage, l’émondage, l’ébranchage, la mutilation, l’arrachage, l’incinération, l’annulation et la saignée des essences protégées ». Cette disposition est reprise par l’article 56 de la loi-cadre sur l’environnement. Plus précis, le Décret n°96-271 du 2 juillet 1996 portant application du régime forestier en République du Bénin énonce en son article 84 : « Toute personne transportant du bois, du charbon de bois à but commercial par pirogue, bateau, charrette, voiture, camion, wagon, bicyclette, animaux ou tout autre moyen est tenue de se prêter aux contrôles de son chargement par les agents de l’Administration Forestière. A défaut de se prêter à ce contrôle, elle sera considérée comme étant en infraction. »

Ainsi, tout abattage d’arbre doit être préalablement soumis à un permis de coupe. « Le permis d’exploitation de bois de feu ou de charbon de bois est délivré par le Chef d’inspection Forestière ou, par dérogation, par le Chef Poste Forestier de la localité. Sa validité est de soixante-douze heures non renouvelables », indique l’article 63 du Décret. Mais cela n’a pas prospéré dans le département du Zou. « Les paysans se sont constitués en association pour remettre en cause cette décision », s’offusque Arnaud Quenum. Du coup, la solution trouvée est d’augmenter la taxe sur le sac de charbon au transport. Dès lors, les Eaux et Forêts perçoivent sur chaque sac 315 f CFA dans les régions de forêts protégées sans zone d’aménagement et un peu moins ailleurs. Au final, le sac de 100 kg est cédé au consommateur à l’arrivée à Cotonou à 5500 f CFA au lieu de 4500 f CFA.

A cette solution, les chercheurs voudraient ajouter une approche génétique pour améliorer le rythme de croissance du néré. Une étude est en cours à la Faculté des sciences agronomiques (Fsa) de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac) afin d’avoir à nouveau un parc à néré au Bénin pour résoudre, entre autres, les difficultés d’approvisionnement en graines. D’après le Professeur Paulin Azokpota, la Fsa a déjà soumis un projet dans ce sens au Conseil scientifique de l’université et a obtenu un petit financement de vingt millions (20.000.000) F CFA pour trois thésards. Le travail dans sa première phase consistera à examiner les facteurs qui ont contribué à la rareté de l’espèce, notamment dans le plateau d’Abomey. « Une fois l’état des lieux achevé, continue-il, nous envisagerons les procédés technologiques pour une éventuelle amélioration génétique de l’espèce». Tout cela prendra du temps car, prévient-il, « il faut voir la recherche dans une perspective à long terme : si nous voulons avoir du néré qui donne très rapidement, il faut vraiment connaître l’arbre».

Fortuné SOSSA

Encadré : Un arbre très nourricier

Selon une étude réalisée par le Fonds des Nations-Unies pour l’alimentation (Fao), le néré est très nourricier. Par exemple, les fruits sont riches en protéines. Sa farine apporte la totalité des acides aminés essentiels à l’organisme. L’espèce est pourvue également en fer (de l’ordre de 15,5 mg/100 g), en vitamine C et en iode. Elle serait réputée en Afrique pour sa capacité à résoudre les problèmes de goitre chez certaines populations et pour prévenir l’hypertension voire la diminuer.

Une autre étude, réalisée par la Faculté des sciences et techniques de d’Abomey-Calavi sur trois ethnies dans le septentrion, montre que le néré a un pouvoir thérapeutique avéré. Chez les Waama, par exemple, l’écorce à 50% est utilisée dans la guérison de la toux, la diarrhée, les maux de ventre, la tension artérielle et les éruptions cutanées. Les feuilles à 20% et les racines à 15% sont utilisées pour la guérison des mêmes maux. Chez les Berba, par contre, la décoction (76%), l’afitin (14%), la macération (09%) et la poudre (04%) soignent également la toux et les maux de ventre, mais en plus les morsures de serpent. Chez les Ditamari, cependant, la décoction à 40%, le condiment et la poudre à 20%, règlent en plus des maux de ventre, les problèmes de vomissement, de méningite et de panaris.

Le professeur Paulin Azokpota recommande toutefois qu’il faut prendre ces révélations avec un peu de réserve. Il reste encore plus septique par rapport à cette guérison de l’hypertension artérielle par le condiment afitin. « Ce sont des rumeurs qui courent de plus en plus. Ce qui nous amène maintenant à proposer des protocoles de recherche pour vérifier cette information. » Il s’agira de voir, le cas échéant « la quantité de afitin à consommer par individu et par tranche d’âge ». Ce protocole de recherche permettra également de savoir si c’est sous la forme fraiche ou séchée qu’il faut consommer le condiment afin d’obtenir la satisfaction.

F S

 

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