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18 février 2007

Littérature

Présentation du roman «Partir ou rester… L’infamante république»

La fonction publique, un dépotoir des inconduites

Fortuné Sossa

«Allô, c’est moi… J’appelle du bureau. Oui, c’est bien ce que tu as entendu. J’appelle du bureau. Avec ma plus belle voix. Bien sûr j’avais juré de ne jamais me prêter à ce jeu avilissant. Mais je viens de céder. La gestation a été longue, laborieuse. Mais c’est comme si je m’attendais un peu au résultat. Disons que j’étais presque sûr d’être phagocyté un jour ou l’autre. […] Qui travaille à l’hôtel ne vit-il pas de l’hôtel? Je viens de faire un choix. Ne plus aller dissiper mes revenus pédiatriques dans une cabine téléphonique, alors que d’ici je ne ressens ni la contrainte de temps liée au coût, ni la pression hargneuse de ceux qui attendent impatiemment leur tour.»

La ligne est ainsi tracée. Celle qui consacre écrivain le jeune artiste pluridimensionnel Habib Dakpogan. «Partir ou rester… l’infamante république» est ainsi sa première œuvre littéraire, un roman de 170 pages éditée aux Ruisseaux d’Afrique en 2006. Outre cet extrait, l’ensemble du livre est évolue comme une caméra cachée projetée à travers l’administration publique béninoise. Dans un style narratif qui emprunte diverses figures de style, l’auteur fait le point des différents procédés en vogue pour abuser du bien public. Téléphoner au service à longueur de journée. Eloigner des conjoints par affectation. Déposer son sac, ses lunettes ou sa veste sur son bureau et disparaître comme quelqu’un n’est pas aller loin. Se mettre tout le temps en grève par paresse. Etre tout le temps en séminaire pour pouvoir amasser des perdiems. Piller l’économie nationale à la faveur de «l’impunité ambiante». Corrompre et se faire corrompre. Adhérer aux partis politiques de la mouvance pour obtenir des faveurs démesurées. Prendre des congés fantaisistes. Prêcher et cultiver l’inconscience professionnelle...

Face à tout cela, le jeune auteur se montre impuissant. Il projette juste au devant de la scène un narrateur sans nom qui subit et se laisse subir dans ce pays nommé Mibinadou qui ressemble fortement au Bénin. En effet, accroché au téléphone installé dans son bureau à Zounkodaho (pour ne pas dire Cotonou), celui-ci passe des heures à échanger de tout et de rien avec son épouse affectée à Totaligbé (le septentrion) pour son premier poste dans l’administration publique. Habib Dakpogan utilise l’hyperbole, l’ironie, la métonymie pour faire exister son héros, un homme enchaîné par le désespoir qui pense que la seule porte de sortir de sa misère est de s’entourer les nombreux vices qui gangrènent la société en général l’administration publique en particulier. Le jeune auteur habille sa narration à la manière de Jacques, personnage créé par Diderot dans son célèbre roman «Jacques le fataliste». Ce dernier est expert dans l’art de démarrer la narration d’une histoire, ne pas l’achever et passer à une autre, revenir après à la précédente et ainsi de suite. Et le personnage créé par Habib n’est autre qu’un fataliste. Pour lui, puisque tout le monde gaspille les biens de l’Etat, il faut qu’il s’emploie à cela également. Les reproches de son épouse n’ont pu lui faire changer d’avis.

«Mais ne te fais pas d’illusion. Nous ne changerons pas le monde. Alors, sois sûre que nous vivrons ainsi, que nous mourrons ainsi, que nos enfants aussi gagneront leur vie de la même manière ou d’une pire façon […]»

Au regard de ce qui précède, on s’interroge le but visé par Habib Dakpogan en inventant cette fiction. Si la fonction primordiale du roman est de poser un problème et d’y proposer des solutions, alors il aura accompli cette mission à moitié. Car depuis 1991 où le Bénin est entré dans sa phase du Renouveau démocratique, la règle est de lutter contre la corruption, rendre prospère et potable la nation. Et la littérature doit aussi s’atteler à cela. Et nombreux sont les auteurs qui ont apporté leur pierre à cet édifice. Il s’agit surtout des dramaturges, et il continue de le faire. A travers les pages de «Partir ou rester… L’infamante république», on a l’impression que la corruption ne sera jamais bannie des mœurs, l’impunité sera toujours la règle qui gouverne le fonctionnement dans l’administration publique, l’avancement ne sera jamais au mérite dans la réalité.

Mais, au-delà de cette tendance à la résignation, le roman de Habib Dakpogan est un chef-d’œuvre. Un ouvrage écrit dans un français plaisant et parfumé d’images. Un ouvrage qui suscite l’engouement à la lecture. Surtout qu’il s’agit d’un jeune trentenaire qui n’a pas la littérature pour formation de base. Titulaire d’un Baccalauréat série C, il a poursuivit ses études dans le domaine de l’administration des hôpitaux d’où il est sorti brillamment. Indépendamment de cette profession qu’il exerce dans un hôpital à Cotonou, Habib Dakpogan est aussi un excellent musicien chanteur dont la plupart des textes sont en vers.

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